tu marches dans les rues sombres d'amsterdam, un air résigné sur le visage, une moue triste sur les lèvres. alors, c'est ça ? c'est ça que ça fait d'être totalement sobre, sans aucune substance illégale dans le corps ? cette tristesse qui parcourt tes veines, qui te fait monter les larmes aux yeux, elle est normale ? tout ton bonheur n'est-il dû qu'à l'alcool ? tes écouteurs dans les oreilles, tes mains dans les poches, tu te prépares à rentrer dans ta péniche. tu vois, au loin, une forme noire qui marche. un homme, surement, à en juger la carrure. et soudain, sans que tu ne comprennes pourquoi, la forme tombe au sol. et ne se relève pas. alors tu cours, tu enlèves, tes écouteurs et quand tu reconnais oswald, tu cries. tu cries son prénom. tu lui cries de se réveiller. l'odeur d'alcool qui émane de son corps, tu l'oublies. tu t'assois à côté de lui et soulèves doucement sa tête. c'est peut-être que ton dealer mais quand même, tu tiens à lui.

tu regardes oswald. tu observes les moindres petits détails de son visage avec douceur. même saoul, même quand son esprit divague bien loin de la réalité, même quand l'alcool a circulé dans toutes les veines de son corps, il est beau. tu sais pas si tu vas rester toute la nuit assise sur les sols sales d'amsterdam, à tenir dans tes bras ton dealer ivre. tu ne sais pas non plus si tu vas arriver à le ramener chez lui, parce que tu ne comptes pas le laisser pourrir là comme une merde. la seule chose dont tu es sure, c'est qu'il réussit à être beau. et ça, ça t'attire. il réussit à te dire deux ou trois beau. tu esquisses un petit sourire. déconnes pas. t'es pas en état pour que je te laisse. tu essayes de le relever un peu plus, en attendant de voir sa réaction.

tu le vois se relever maladroitement tout en s'appuyant à une porte. une porte d'entrée. tu jettes un coup d'oeil, son nom est écrit. ok, c'est là qu'il habite. tant mieux, dans un sens, parce que tu te sentais pas le porter jusqu'à chez lui. pas que l'odeur d'alcool te dérange, pas que le fait de sentir son corps contre le tien te dérange. non, rien de tout ça. c'aurait simplement été vide, terriblement vide. t'aimes pas le silence et oswald semble pas en état de parler. tu le vois taper un code, manque de chance, il se trompe. une seconde fois, il essaye. une seconde fois, il se trompe. tu le vois s'énerver et comme tu ne sais pas franchement quoi faire, tu poses doucement ta main sur son bras. histoire de lui faire comprendre que c'est pas en s'énervant que sa putain de porte va s'ouvrir plus facilement. tu sais pas s'il comprend parce que de toute façon, il est complètement ivre. il est ailleurs. mais toi, tu la connais cette sensation et tu sais que c'est pas en restant plantée derrière lui comme une conne que ça va changer les choses. alors tu te mets face à ton beau dealer et tu le regardes droit dans les yeux, sans ciller. ta main ne bouge pas lorsque tu lui demandes : c'est pas que mais bon, tu veux pas appeler quelqu'un qui le connait, ce putain d'code ? ou alors, à rester ici toute la nuit, autant s'asseoir. bien joué, klara, ta franchise naturelle a pris le dessus et maintenant, tu passes vraiment pour une conne.

quand t'étais une gamine, quand t'étais encore une gentille petite fille que tes parents supportaient, ta soeur t'avait expliqué un truc à propos des garçons. parce que, curieuse comme tu l'étais, tu voulais tout savoir. elle t'avait dit à l'époque que lorsque un garçon était sur le point d'embrasser une meuf, il regardait fixement ses yeux puis jetait un coup à sa bouche... ta soeur avait beau être une salope de premier rang, elle avait eu en partie raison ce jour là. et maintenant, là, oswald s'approche un peu trop de toi et te regarde droit dans les yeux. alors forcement, y'a des souvenirs qui remontent et toi qui te dit que non, c'était peut-être pas une super idée de poser ta main sur son bras. il tape le bon code, la porte s'ouvre et il se prépare à attendre l'ascenseur. toi, tu sais pas quoi faire. tu te sens conne, bordel. tu sais pas si tu entres ou si tu entres pas. alors, tu fais un compromis bizarre et avance d'un pas. t'es accoudée à la porte, tu bouges pas. comme ça, c'est à lui de décider ce qui se passera. parce que bon, t'aimerais bien obtenir un mot ou deux de plus de sa part, quoi.

pour une fois que t'avais décidé ne pas prendre de came et de ne pas boire, pour une fois que t'avais décidé de passer une soirée tranquille... il avait fallu que tu tombes sur oswald. sans déconner, la vie était une vraie pute, parfois. enfin, pas que parfois. tu le vois attendre l'ascenseur, ça te donne envie de sourire parce qu'il est mignon, comme ça, totalement défoncé, le cul contre le sol, à attendre une saleté de machine. comme quoi, on est tous dépendants des machines. soudain, il te parle. enfin. amen. des mots. tu te sens un peu moins seule. je sais pas, tu en penses quoi, toi ? t'es joueuse, klara, beaucoup trop joueuse pour prétendre faire l'innocente.

tu ris doucement tout en faisant craquer tes doigts. stupide petit réflexe. c'est dans ce genre de moment que tu es contente qu'oswald ne te connaisse pas très bien. tu craques tes doigts quand tu es stressée et contente. état d'esprit à la klara, comme dirait grace. tu entends le bruit de l'ascenseur qui arrive. à ton plus grand étonnement, ça te déçoit. tu l'aurais pas cru mais finalement, cette soirée, tu l'aimes bien. tu craques tes doigts. encore. il entre dans le compartiment et au moment où l'engin s'apprête à partir, tu vois qu'il tend un main pour laisser les portes entr-ouvertes. tu n'y réfléchis pas à deux fois, attrapes ton sac à main, rentres dans l'immeuble et dans l'ascenseur. tu peux pas te passer de moi, avoue. je te manquais déjà.

t'aimes pas la manie qu'il a d'être agressif comme ça. jouer, ok. provoquer, ok. blesser, t'es plus trop d'accord. au fond, ça te fait mal ce qu'il te dit. puis tu réfléchis et tu te rappelles que c'est lui qui a voulu que tu viennes. alors bon, il doit bien t'aimer. tu sors de l'ascenseur juste derrière lui. c'est un putain de joli cul, qu'il a. tu mates, il te voit pas, tu souries. il ouvre la porte de chez lui et tu rentres. c'est là que tu te rends compte que t'es quand même dans la baraque de ton dealer. ça fait suspect. parce que t'as beau obéir aux clichés de la jeunesse dépravée sur bien des points : l'alcool, la clope et la drogue, t'es pas du genre à coucher avec n'importe qui. et là, tu sais pas tellement comment ça va se terminer et ça t'fait un peu stresser.

tu t'attendais à tout sauf à ça. tu t'attendais à un truc en bordel, pas rangé et où ça sentait oswald. pas comme s'il avait une odeur particulière mais bon, tu t'comprends, c'est ça qui compte. tu t'assois sur le canapé, t'accoudes bien au fond et poses ton sac dessus. le canapé est libre si tu veux dormir, klara, qu'il te dit. parce que si tu passes la nuit ici, t'es dans le canapé et lui dans l'lit ? tu craques tes doigts. ce type est un cas, parfois. ouais, j'veux bien. non. non tu veux pas. non tu dois pas boire, klara. ni t'asseoir, là. t'as un exam de danse demain, si t'étais sobre, c'était pas pour rien. puis tu le vois marcher d'un pas bourré, et ça t'fait sourire comme jamais.

son regard te transperce. c’est un truc de fou, ce regard qu’il a, oswald. tu pourrais te plonger dans ses putain d’yeux pendant des secondes, pendant des minutes, pendant des heures. ses yeux feraient chavirer toutes les filles du monde, et le monde et lui-même, aussi. bien sûr. non, bordel. non, t’es pas sûre du tout, klara. mais tu fais comme si, parce que t’es forte pour ça et que la tentation d’un bon whisky est forte. il te fait signe d’approcher. tu détailles son canapé, tu le détailles aussi. tu te lèves, doucement, tu t’avances vers lui et tu vas s’assoir à ses côtés. tu chopes la bouteille dans une main. verre ou pas verre ?