t'es assis là, dehors, sur la terrasse du café que t'as pas vraiment l'habitude de fréquenter. toi généralement, tu vas plutôt dans les rues de red light, dans les lieux plus sombres, où tu peux te perdre et passer inaperçu. tapi dans l'ombre, ouais, c'est c'que tu préfères. mais là, t'as dit à klara de te rejoindre, la gamine de dix-neuf ans, qui en fait beaucoup plus, même que ça t'as étonné quand t'as su son âge, mais qu'importe, parce que klara, elle est dans la même merde que toi. gosses de riches tous les deux, elle te soutient, elle te comprend un peu quand tu lui dis que ça te fait chier de passer pour le fils à papa à ton boulot qu't'aime et dont t'as pas forcément besoin. elle te comprend quand tu craches sur les bobos de merde qui savent pas mettre un pas devant l'autre avec leurs talons trop hauts pour elles. klara, elle est comme toi, elle aime pas son statut, elle l'accepte pas. pourtant, c'est bien pratique d'avoir tout ce que vous voulez. t'aimes bien avoir le dernier portable à la mode, t'aimes bien pouvoir te payer d'la cam facilement. au fond, t'es un peu hypocrite avec toi-même, silas. mais du coup, avec klara, tu peux redevenir un peu toi même, à la fois ce gosse de riche et cet anarchiste qui réside en toi depuis toujours.

dans les rues éclairées d'amsterdam, tu marches, un sac à la main, un rouge sur les lèvres, du vernis sur les ongles. dans les rues bondées d'amsterdam, t'observes les passants, les commerçants, tout ce qui passe et qui a de la gueule. dans les rues ensoleillées d'amsterdam, tu contemples les gamins insouciants. ça te rappelle toi, au même âge, avec ta robe et ta face de petite fille sage. tu te remémores les souvenirs lointain, à l'époque où l'adolescence n'était qu'un futur chemin. les souvenirs remontent à la surface, te submergent. tu vas finir par en faire une overdose, klara. fais gaffe, c'est dangereux ces choses-là. plus dangereux que n'importe quelle drogue. parce que c'est innocent, ce genre de souvenir. ça fait douter d'une manière effrénée. tu te mords la lèvre. arrête d'y penser, klara, c'es pas bon pour la santé. t'aperçois à quelques mètres le starbuck café. et du haut de tes dix-neuf ans bien calés, tu t'approches du mec que tu dois retrouver. il est assis. tu lui souris et t'approche de lui. qu'il est mignon ton silas, on dirait qu'il est et n'est pas à sa place. drôle de sentiment.

elle est là, klara, la belle et douce klara. elle a encore ce visage d'enfant, un peu comme toi. on peut pas dire que tu fasses vraiment vingt-deux ans toi, t'as la tête d'un gamin encore. elle te sourit alors tu fais pareil, t'essayes de pas paraître con, parce que t'aimes pas trop sourire, mais c'est klara, alors ça va. y a le serveur qui arrive à ce moment là pour t'emmener ton espresso macchiato que t'as commandé, ça t'as coûté cher putain en plus. t'attends que le serveur parte pour te confier à klara. j'aime pas le café. mais t'as voulu faire comme les autres, puis t'as les moyens de dépenser du fric dans des choses inutiles. alors tu rigoles, doucement, pas trop fort. ça ferait pas rire tout le monde, pas ceux qui peuvent pas se permettre de balancer de l'argent un peu partout. tu sens ton espresso. ça sent bon, presque aussi bon que l'odeur d'un joint. t'en veux un ? j'te le paye si tu veux. tu te la joues poli, pas avec tout le monde, elle a de la chance klara. t'es comme ça avec elle parce qu'elle te ressemble, et t'es pas obligé de te cacher sous un masque avec elle du coup. jeunesse dorée, t'en fais bien parti, y a pas de doute à avoir sur ça.

t’en as partagé des trucs, avec silas. à dire vrai, t’as l’impression que c’est le seul qui te comprend réellement. non pas que les autres soient à des années lumières de ce que tu ressens, mais lui, il est dans la même situation. il a le même compte en banque, à quelque chose près. il a cette même gueule d’enfant, qui veut pas s’en aller. il a cette même idée de la vie, consumée par les soirées et la liberté. il est comme toi, silas. en plus, il aime pas le café. y’a pas à dire, ce type, c’est ton frère jumeau. le serveur arrive. tu l’détailles, comme tu sais si bien le faire. t’aimes bien détailler les gens, klara, t’es bizarre, parfois. il est pas beau, alors tu détournes la tête. moi non plus j’suis pas très café. un petit rire sort de ta bouche. silas rit, alors tu ris avec. t’aimes bien quand il rit, ça lui donne un petit côté gamin. il ne doit pas s’en rendre compte, mais toi, ça te fait sourire. allez, souris, klara, t’es plus jolie quand tu souris que quand tu tires la gueule. j’vais aller me chercher un muffin, j’crois. j’ai la dalle. t’as toujours la dalle, klara. tu passes tes journées à manger. et à cloper, aussi. c’est bizarre comme comparaison. t’attrapes le café de silas, prends une gorgée, fais la grimace et le lui rends. définitivement, j’aime pas ça. tu dis ça d’un ton gentil, innocent. tu cherches pas à faire semblant. et c’est pour ça que tu l’aimes, à ce type.

ça te fais du bien d'être dans ce café même si t'aimes pas le café. ce qui te fait surtout du bien, c'est de revoir klara. t'aimes bien être avec elle pour critiquer le monde dans lequel tu vis depuis que t'es gosse, que tu connais par cœur. par là, tu parles de ta famille aux revenus plus qu'aisées et à leur entourage que tu détestes. t'as des regards complices avec klara, un peu comme si elle était ta petite sœur, une de plus, une que t'as pas perdu. elle pourrait très bien remplacer une de tes deux défuntes sœurs, pourquoi pas. t'aimes bien la façon qu'elle a de détailler le serveur sans gêne, ça te ferait presque rire, mais tu te tiens, t'es bien élevé alors t'attends qu'il parte pour se foutre de lui, comme un bon petit con que t'es au final. t'es toujours en train de bouffer, klara. fais gaffe après tu vas ressembler aux vieilles bobos d'amsterdam. t'as un sourire en coin, un rictus moqueur. t'aimes bien l'embêter ta klara, t'aimes bien la comparer à ce qu'elle veut vraiment pas devenir. parce que tu le sais mieux que personne qu'elle les déteste ces vieilles bourgeoises qui se pavanent dans les rues de la ville. tu trempes tes lèvres dans ton café pour goûter toi aussi, et t'as l'impression de faire la même grimace qu'elle, ça te fait rire. putain ouais, c'est dégueulasse. c'est bien meilleur une clope. du coup, t'en allumes une que tu coinces entre tes lèvres. ça me fait plaisir de te voir, tu sais. ça te fait plaisir de pouvoir jouer au petit con blindé avec elle surtout.

silas, c’est le genre que type que tu te souviens avoir toujours connu. et heureusement pour toi, pour lui, pour vous, vous vous adorez. c’est le frère que t’as jamais eu. c’est le confident honnête. c’est le meilleur ami con. c’est le mec sans qui tu ne peux pas vivre. silas, tu ne peux pas t’en passer. entre vous, il n’a jamais été question de sexe ou d’amour et c’est ça que tu adores. c’est une amitié simple, sans failles. parfaite. hashtag on-est-fab. t’enroules une mèche de tes cheveux noirs autour d’un de tes doigts gauches. tu ne réfléchis pas, c’est mécanique. t’es bourrée de petits tics, klara, quand on y réfléchit. tu vas finir comme ta mère, klara, quand on y pense. et ça, ça te fait peur. ok, t’aimes bien ton compte en banque, mais t’aimes encore plus ta liberté rebelle. ou alors, c’est l’inverse. t’en sais rien. tu sais plus. t’as pas envie de réfléchir, t’as juste envie d’une clope. mais bon, tu sais que silas est dans le même cas, alors ça va. t’es pas si seule que ça dans ta solitude, ça te fait du bien de te le dire. j’aime bien bouffer. et t’sais quoi ? j’en profite. j’ai pas ma mère sur le dos pour me dire d’faire attention à ma ligne. alors bon, j’me lâche, j’avoue. mais je te jure, j’te promets, que jamais je ressemblerais à ce tas de biatch. tu le vois tremper ses lèvres dans son café, il en fait une sale tronche, ton silas, quand il avale. lui aussi, il doit trouver ça bien dégueulasse. c’est infect, le café. les muffins, c’est mieux, tu l’as toujours dit. il rit. encore. c’est bien, t’aimes voir les gens rire, parce que c’est souvent contagieux. et que rire, ça te fait oublier toutes les merdes et les coups bas de la vie. la vie, elle est pas toujours sympa. mais parfois, elle vous dote d’amis tels que ton silas le (pas) moche. et rien qu’pour ça, tu l’aimes bien. j’l’aurais pas mieux dit, tu vois. ma sœur essaye de me persuader d’arrêter, d’ailleurs. comme si j’allais l’écouter. et moi aussi, j’suis heureuse de te voir.

t'inspires et expires la fumée de ta cigarette. tu regarde la fumée danser et monter dans les airs, t'as toujours cette manie de la regarder bouger. la fumée, ça te rappelle le feu avec lequel tu joues tout le temps au cirque, ça te rappelle que t'as opté pour une vie plus compliquée que celle que tu aurais normalement dû suivre. t'es comme ça toi, t'aimes pas faire simple, t'as jamais su faire ça. tu souris à klara, ta klara que t'aimes tant. t'aimes bien la voir heureuse comme ça, délivrée de sa condition de bourgeoise, la même condition que toi. ça te fait du bien de voir que t'es pas le seul à ne pas aimer le monde dans lequel t'es obligé de grandir. t'as raison. et de toute façon, j'pense pas que t'aies un jour besoin de faire attention à ta ligne. puis tu les surpasses toutes ces vieilles meufs. c'est vrai. tu la regardes, tu la détailles. elle est fine, klara, un peu trop même. elle a une vraie taille de mannequin. ça fait longtemps que t'as pas autant ri, ça te fait du bien. surtout quand c'est avec klara, ta presque sœur. tu fais tomber la cendre dans le cendrier tout en la regardant de tes yeux glacés. la clope, c'est addictif, comme d'autres conneries. tu dis ça parce que tu commences à t'y connaître. en tant que dealer, tu vois bien les camés qui reviennent t'acheter de la marchandise tous les soirs. tu les reconnais tous. puis toi aussi, t'aimes bien toutes ces conneries. t'y es pas accro, faut dire que tu fais attention à pas le devenir, faudrait pas que papa et maman s'en rendent compte.