je sors de l'immeuble, cet immeuble de riche qui n'me convient en rien. ma tête est prête à exploser, mes yeux injectés de sang se font agresser par le soleil qui se lève, et comme un réflexe j'y pose mes lunettes. j'erre, mains dans les poches, cigarette au bord des lèvres. je m'étire, je crache. la soirée a été longue, la soirée a été éprouvante. la soirée a été bonne. en bon lendemain de soirée, je n'me sens pas au meilleur de moi même. un étau se serre autour de mon crâne, mon foie me fait gentiment subir sa vendetta et mon estomac se bat avec ma gorge pour me faire régurgiter tout ce que j'ai pu lui faire avaler. le tout alors que mon cerveau, lui, est à vingt mille lieux d'ici, perché au milieu des nuages. là, on est bien. l'air frais au milieu de mes bouclettes. malgré toute ma souffrance de gueule de bois, je porte mon immense sourire au bord des lèvres. une tête blonde passe au loin, les bouclettes identiques aux miennes, la souffrance d'un lendemain identique au mien. mon sourire s'agrandit, et elle rentre dans une église. je fronce les sourcils et la suit. qu'est-ce qu'elle peut bien vouloir faire là-bas, celle-là? au pas de la grande porte en bois, je la regarde faire.
- cees, ça s'boit pas!
je jette ma cigarette au dehors et avance vers elle, le pas vif. qu'elle est bête, c'est dingue. je laisse échapper un léger rire suite au sien. amen. planté à ses côtés, je l'observe. elle, elle n'a pas l'air de me reconnaître. je retire mes lunettes pour les engouffrer au milieu de mes cheveux.
- t'es dans un sale état ma vieille.
tu peux parler, thijs. t'es pas mieux.

elle prend forme, elle prend vie. elle danse et elle sourit. elle a l'innocence au coin des yeux, au bord des lèvres, au bout des doigts. elle l'a encore, même quand elle veut faire croire qu'elle a déjà été dépassée par tout ça. elle est trahie par son regard. l'enfant. mes yeux rient, mes lèvres font silence. ses doigts me touchent, je clos mes paupières.
- ça se voit tant que ça? j'ai plus qu'à mettre de l'anti-cernes.
léger sourire en coin. je pose à nouveau mes lunettes sur le bout de mon nez. sombre. elle est devenue sombre cees, d'un coup, même si son sourire l'éclaire, moi, j'y vois tout noir. ma soirée? une soirée comme les autres, le même schéma, le même parcours parfait. rien à en redire, rien à en dire. rien de plus qu'un sourire pour tout laisser entendre. rien de plus qu'un sourire pour faire taire mon flot de paroles qui risquerait de l'inonder sous le poids d'une soirée de débauche à raconter. et toi, cees, t'as passé une bonne soirée? ouais, au moins aussi bonne que la mienne. j'en viendrais presque à soupirer. j'en viendrais presque à haïr celui qui a osé la briser, son innocence, hier soir.
- pour m'absoudre de mes pêchés, quelle question, dieu sait que j'en ai commis des tas hier.
sourcil haussé, sourire tirant sur mes fossettes, je n'lâche pas son regard. j'attrape son briquet doucement, fermement. la flamme disparaît. le noir absolu entre nous deux.
- tu vas t'brûler tes jolies bouclettes.
faudrait pas les brûler, ses bouclettes. faudrait pas.
- toi, pourquoi t'es là?

Spoiler:

ses mots se perdent en quelque chose d'incompréhensible. je n'sais pas si c'est moi qui ai un soucis pour comprendre ce qu'elle veut me dire ou si c'est elle qui a un soucis pour s'exprimer. j'ai cru y distinguer mon prénom. j'suis pas trop sûr. j'hausse les épaules. tant pis si j'comprends pas. ça fait longtemps que j'ai arrêté de chercher à comprendre ce qu'on me raconte. souvent j’acquiesce, je fais semblant, alors que j'ai un cerveau bien trop embrumé pour y arriver véritablement.
- jusqu'à ce que quoi?
y a rien d'plus sûr qu'une église, paraît-il. ou peut-être une église sans prêtre. c'est mieux pour les enfants. c'est c'qu'on dit. j'suis pas sûr de croire tout ce qu'on dit. un endroit sûr jusqu'à ce que j'arrive, peut-être. elle doit m'prendre pour le grand méchant loup. je pose mes fesses au sol, le nez en l'air. j'admire ses petits pas. le petit rat de l'opéra. petite souris de l'église. mon sourire me transperce. encore, encore. j'en veux encore. je veux la voir encore danser lentement. c'est joli, c'est doux. en silence, dans l'église, c'est magique. presque mystique. un peu maléfique, ça ensorcelle. bim. mon sourire tombe. mon visage devient fade, terne. seule. sans moi.
- pardon, tu veux que je parte?
c'est obligé, de partir? mes fesses sont encrées au sol glacé de l'église, j'veux pas vraiment bouger. j'ai trouvé mon refuge. j'veux pas la laisser. on sait jamais c'qui peut arriver.

Spoiler: