ghosts (silas)

ça grouillait comme dans une fourmilière, ici, pire. y'avait les rues qui se ressemblaient toutes ; qui voulaient toutes dire pareil, hurlaient la même chose : fric, thune, argent, monnaie, blé, pognon, capital, placement, fric, fric, fric jusqu'aux dents. il savait pas c'qu'il foutait ici, elies, il en avait aucune idée. même pour faire une course, il en avait pas envie ; ça suintait l'argent sale, quand même, le revers de la médaille : bien moins brillant, bien moins reluisant, que tous tentaient de cacher - la vérité c'est qu'la plupart se payaient des putes la lune venue, s'éclataient les pupilles à coup de poudres d'étoiles, ouais. et lui il était là. il appartenait pas à c'monde là, ça se lisait, sur ses traits, qu'il venait pas pour se fondre. juste pour sortir de chez l'autre, là, l'abandonner un peu. pour s'changer les idées, pour errer, comme il le faisait tout l'temps finalement, mais cette fois-ci, avec un pincement au coeur. pourtant ça s'lisait pas, pas plus que d'habitude, et lui il marchait le regard écrasé contre le sol, sans regarder - tellement qu'il finit par le heurter. elies redressa le visage, subitement, sans vraiment le regard putain vous pourriez faire atten... puis, il croisa son regard, là - s'éloigna d'un pas parce que la dernière fois qu'il l'avait vu, il avait eu peur de goûter à ses poings, avaler ses phalanges. et puis, comme un con, il resta planter là ; parce qu'il savait plus s'il devait l'aimer ou le haïr, putain, il savait plus s'il devait être vrai ou mentir, finalement.

t'es toujours là, dans un coin de la ville, dans une rue salie par ces types venant s'acheter ce qu'ils peuvent pas trouver le jour. putes, sachets de poudre magique et t'en passes. toi, tu vends ça, tu vends le bonheur aux camés. tu marches un peu, t'aimes pas rester à un endroit. t'aimes pas ce quartier de toute façon. t'es méfiant mais tu restes fier, t'as pas envie de te faire écraser. tu devais pas être là ce soir, tu devais être avec aurora, mais t'as fui, t'as fui tes responsabilités, t'es qu'un peureux. t'as pas envie de la voir, aurora. tu préférerais être avec dylan, ta dylan. t'es pensif, tu regardes pas où tu vas, et tu le heurtes. tu restes con face au visage du garçon perdu. t'as l'impression que vous êtes l'un en face de l'autre depuis des heures, alors tu deviens dur, t'as ce regard glacé qui pourrait le transpercer. qu'est-ce que tu fous là ? ça te fait mal de lui parler comme ça, parce que tu l'as aimé, comme un frère, un vrai. putain elies, tire-toi d'ici. tu presses ton canif dans la poche de ta veste, c'est un automatisme et tu te trouves bien con là, parce que tu sais pas quoi faire face à lui. tu sais pas si tu préfères partir ou rester pour comprendre pourquoi il est là. alors t'attends. t'attends qu'il fasse ou dise un truc. mais il est dans la même impasse que toi, elies.

il se rappelait quelques flammes illuminant la nuit dans leurs étés, insomnie, il se rappelait le bruit du feu se mouvant autour de lui, et cette crainte, mêlée à la fascination des gamins face au rêve, comme ça, le sourire aux bords des lèvres. il se rappelait l'odeur de la nuit qui s'engouffrait dans ses narines, imprégnait ses peaux et ses chairs, et qui l'avait fait, pendant longtemps, aussi longtemps qu'il était avec eux. et là, il restait rien ; il faisait jour, et ça puait le fric - chose qu'ils n'avaient jamais vraiment eu de manière légale. elies, il le regardait, à moitié, du coin de l'oeil, il avait tellement pas le courage de soutenir ses yeux braises - ils l'avaient tué, tellement de fois déjà. parce que, oui, il se rappelait de son feu, ouais, mais de celui qui l'avait animé quand il avait imaginé, tordu, illusions ; celui qui les avait détruit un peu alors qu'ils avaient été si beaux, même si finalement il était le coupable, à juger. alors, elies, il fuit, et même sous ses mots, il a pas le courage de le voir de nouveau ; c'aurait été admettre qu'il entrait encore dans sa vie, et ça, pour le moment, il voulait pas. ça fait deux ans que j'suis là silas. et il voit, qu'y'a les phalanges blanchies, la mâchoire serrée ; il voit qu'ils sont que deux chiens enragés, qui finiront toujours par se bouffer.

ça te fait bizarre de le revoir, t'avais presque oublié son visage à elies. tu crispes ta mâchoire, c'est plus fort que toi, t'arrives pas à te dire que c'est du passé, t'as la rancune tenace, un peu trop peut-être, mais t'as toujours en travers de la gorge ce qu'il s'est passé au cirque. t'as ce regard froid qui quitte pas elies, t'es comme un loup prêt à attaquer, à défendre son territoire. tu sors la main de ta poche pour lui faire rejoindre l'autre, histoire de faire craquer tes os. l'espace d'un instant, t'oublies qu'il y a du monde autour de vous, t'entends plus que sa voix, et tu hausses un sourcil, t'as l'air d'un merdeux quand tu fais ça, silas. mais ça fait bien plus de deux ans que t'as quitté ma vie. pourtant, tu te souviens encore des journées que tu passais avec lui, à jouer aux héros la nuit, devant un feu. tu te souviens de tous tes moments de folies, d'insouciances, mais tout est parti, envolé. quand tu regardes de nouveau elies, tu vois plus le frère, tu vois juste un mec qui a rien à faire ici.

et puis, plus il le regardait, plus ses phalanges blanchissaient - parce qu'ils étaient là, chiens de faïence, à se regarder mâchoire serrée, se montrant presque les crocs. il lui en avait toujours voulu, elies, y'avait cette violence quand il voyait son visage, qu'il tentait de contenir ; cette rancœur qu'il avait, parce que silas l'avait blessé. comme un loup solitaire à la patte traînante, un peu plus loin, au cœur griffé, sans scrupule - il le lisait, dans son regard, non, il en avait jamais eu visiblement. pas pensé l'avoir heurté, pas pensé l'avoir mal fait, pas pensé à le regretter, sûrement. ou peut-être pas pensé tout court. comme quelques cendres des feus qu'ils avaient embrasés, quelques poussières des souvenirs qu'ils remuaient là, quelque chose d'insignifiant. et silas lui crachait à la gueule, presque autant qu'il l'avait fait y'a quelques années, presque aussi violemment ; il en avait rien à faire, de ces souvenirs, de c'qu'ils avaient été, un jour, il en avait tellement rien à faire qu'il bafouait l'essence même de leur attachement. ouais, sauf que tu te trompes là. ça fait bien deux ans que tu m'as viré de la tienne. qu'il lui répondit, l'imitant, avec sa haine, son discours acerbe, et cette violence, contenue, qu'il craignait déverser probablement trop tôt. alors les poings enfoncés dans les poches, la mâchoire serrée, et le regard soutenu, oui, défiant. il voulait le briser presque autant que lui l'avait fait.

HALLELUJAH, I'M SAVED

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